Le futur de la parfumerie réside t-il dans les ingrédients de synthèse ?

Vous pensez que synthétique rime avec allergique ? Qu’un parfum de qualité est forcément fait d’ingrédients naturels rares et précieux, de kilos de fleurs réduits en essence ?

Depuis la révolution de la clean beauty (née du désir des consommateurs de se tourner vers des cosmétiques plus naturels, bio ou responsables), vous aussi vous scrutez le dos de tous vos produits ? Vous essayez de décrypter les listes d’ingrédients mais vous n’êtes pas toujours sûr de les comprendre (même avec l’aide de Yuka !) ?

Désormais, avant de craquer sur un nouveau parfum vous regardez s’il est vegan, fait à partir d’ingrédients naturels et fabriqué en France ? 

Travaillant dans le secteur de la beauté depuis plusieurs années, je constate cette quête de sens et de transparence grandissante chez les consommateurs. Certaines marques de niche et grands noms de la parfumerie répondent à leurs attentes et mettent le cap sur des parfums aux taux de naturalité toujours plus élevés.


Les ingrédients synthétiques sont rarement mis en avant par les marques et sont boudés par les consommateurs qui recherchent la rareté. Même si 90 % d’entre eux pensent que les parfums sont composés exclusivement d’ingrédients naturels, la réalité est tout autre : seulement 5 % en moyenne en contiennent.

Doit-on se méfier des ingrédients synthétiques ? Sont-ils réellement synonymes de pétrochimie, d’utilisation d’énergies fossiles et de conséquences néfastes sur l’environnement ?

Dans cet article, je vais analyser pour vous :

  • l’évolution des attentes des consommateurs 

  • la problématique des ingrédients naturels

  • les avantages (non négligeables) que présentent les ingrédients synthétiques. 

Les consommateurs ont un intérêt grandissant pour la confection de leur parfum, la qualité des ingrédients et les processus de fabrication.

Je ne vais pas vous l’apprendre, les consommateurs sont plus avertis que jamais et cherchent à mieux comprendre comment sont faits leurs produits d’hygiène et de cosmétique. Les parfums ne sont pas épargnés.

Mon parfum est-il vegan et sans cruauté envers les animaux ? L’alcool (principal composant) est-il dangereux et nécessaire pour que mon parfum tienne sur la peau ? 

Le parfum est un produit complexe et il est souvent difficile d’en comprendre la composition exacte. Le doute plane autour de la liste des ingrédients. D’autant plus que les créations olfactives (les notes choisies et leur dosage) sont protégées par le secret commercial. 


Il y a également une défiance à l’idée d’appliquer des matières inconnues sur la peau. 

Un parfum contenant des ingrédients naturels apparaît alors comme un gage de sécurité. Il rassure les consommateurs sur la qualité des matières premières utilisées. 

On pense avoir chez soi un produit de luxe, élaboré avec soin, obtenu après un processus long et savant (récoltes de fleurs à la main, techniques ancestrales de distillation ou d’extraction). On s’imagine à Grasse, capitale française du parfum et fleuron de l’industrie, perdu au milieu des champs de rose et de jasmin. 

La question nous brûle les narines. Cette quête de naturalité a-t-elle un coût pour la planète ? 

Les ingrédients naturels, une ressource précieuse menacée 

Avant toute chose, rappelons plus précisément ce qu’est un ingrédient naturel. C’est un produit d’origine végétale ou minérale, qui n’est pas transformé, sauf par des processus mécaniques traditionnels comme l’extraction. 

 

Est-il forcément bon pour moi et pour la nature ?

Comme tout élément provenant de la nature, il n’est pas toujours facile à dompter. Ressources menacées, récoltes aléatoires, aléas climatiques, les rendements et la qualité des effluves sont fluctuants.

Ingrédient naturel et exploitation durable, deux notions compatibles ?

Les grandes maisons de parfums comme les marques de niche sont nombreuses à mettre les ingrédients naturels au cœur de leur création. Elles répondent aux attentes des consommateurs et mettent en avant leur expertise. Elles s’engagent à une certaine traçabilité, une responsabilité de leur sourcing et à des partenariats pour soutenir les économies locales. 

Car c’est pour les principaux producteurs d'ingrédients naturels que se posent des questions d’ordre environnemental, économique ou éthique : Chine, Inde, Madagascar ou encore Haïti. 


Les engagements des parfumeurs sont-ils suffisants pour autant ? On peut se permettre d’en douter. Comme le rappelle la fondatrice de la marque de parfumerie parisienne Parfums de Nicolaï, “si la parfumerie était 100 % naturelle, la Terre serait vidée de ses ressources”.

Quelle addition pour les parfumeurs ? 


Une dimension spéculative s’ajoute également à l’équation. Une canicule ou une sécheresse intense peuvent faire grimper les prix d’un ingrédient d’une année sur l’autre. Certains agriculteurs sont tentés de passer de la culture d’un ingrédient naturel à un autre. Les parfumeurs peuvent ainsi manquer de certaines matières premières essentielles. 

S’il y a une pénurie, comme pour la vanille il y a quelques années à Madagascar, une compétition avec l’industrie alimentaire peut même survenir.

Les notes synthétiques peuvent-elles répondre à ces problématiques ?

 

Je vous l’accorde, les mots “synthétiques” ou “de synthèse” ne sont très pas poétiques. Vous pensez à ce que vous avez lu sur les ingrédients allergènes, cancérigènes ou perturbateurs endocriniens. Oui, ça peut faire peur ! 


Pourtant, un produit de synthèse ne contient en général qu’une seule substance susceptible de déclencher une réaction allergique. Une matière première naturelle, au contraire, en contient souvent plusieurs. 

 

Pourquoi les notes de synthèse sont-elles importantes ?  

 

Tout d’abord, il est important de mentionner que de très nombreuses notes utilisées dans les parfums ne peuvent être obtenues qu’à partir d’assemblage ou de notes synthétiques. Il existe des fleurs muettes, telles que le muguet ou le lilas, ou encore des odeurs à créer de toutes pièces comme les fruits ou les notes iodées. Les notes synthétiques permettent ainsi plus de création et d’innovation. 

Il existe deux types de notes synthétiques : 

  • Celles créées à partir d’isolat et de molécules que l’on trouve dans la nature (comme les notes vertes créées à partir de molécules de feuilles de violette). Le parfumeur vient alors capter et copier cette odeur pour la reproduire ensuite en laboratoire. 

  • Celles uniquement produites par réactions chimiques comme les aldéhydes (connus pour leur utilisation dans la création du mythique Chanel N°5). C’est aussi celles-là les plus controversées. 

 

Les notes synthétiques, un atout pour la parfumerie et pour le climat ?

Les notes synthétiques présentent plusieurs avantages majeurs : 

  • Elles assurent des parfums stables et sont reproductibles en grande quantité pour répondre à un marché mondial en pleine croissance. 

  • Elles ne puisent pas dans les ressources naturelles disponibles de la planète. 

  • La synthèse en laboratoire peut se faire de manière locale en France ou en Europe. 

  • Cela réduit le transport des matières premières et des produits finis, et donc l’impact environnemental. 

 

En évitant la surexploitation ou la production dans des pays aux conditions sociales et politiques instables, elles seraient le gage d’un parfum plus éthique et éco-responsable. Une solution rentable et engagée pour la planète.

  

La parfumerie se doit, comme nous tous désormais, de répondre aux défis du dérèglement climatique. 

 

Les notes naturelles sont reconnues pour leur qualité et leur rareté, mais proviennent de ressources épuisables et épuisantes pour la Terre. Les notes synthétiques, malgré leurs origines liées à la pétrochimie, ont pourtant bien des atouts pour répondre aux enjeux du futur de la parfumerie.

De grands parfumeurs investissent de plus en plus dans la chimie verte, lancée il y a une trentaine d’années pour réduire l’utilisation de substances chimiques dangereuses. Elle est encore coûteuse mais permet d’améliorer certaines étapes de production. Meilleure gestion des déchets, utilisation de produits chimiques plus sûrs et de solvants moins polluants. 

Serait-ce la clé pour faire face à la hausse de la consommation du parfum ? En 2021, la Chine a connu une augmentation de 21% de sa consommation de parfum. Quand on sait que seulement 5% de la population chinoise se parfume, on ne peut pas négliger l’urgence d’une réflexion sur l'éco-responsabilité de la parfumerie.